À l’échelle mondiale, six des sept espèces de tortues marines sont classées comme vulnérables, en danger ou en danger critique selon l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les populations sont en déclin massif, nécessitant une meilleure compréhension des dynamiques spatiales des tortues marines et une analyse de leur vulnérabilité.
L’impact des pressions anthropiques, telles que la pêche accidentelle, la destruction des habitats et la pollution est bien connu. Cependant, une menace invisible et insidieuse pourrait être à l’oeuvre : la perturbation de leur sens de l’orientation par les micro et nano plastiques (MNPs).
Le trait d’histoire de vie le plus remarquable des tortues marines réside dans leurs extraordinaires migrations entre leurs zones de reproduction et d’alimentation.
Leur système d’orientation allocentrique* basé sur des capacités magnétosensitives**, leur permet de naviguer avec une précision remarquable sur des milliers de kilomètres.
Cependant, cette aptitude exceptionnelle pourrait être compromise par la pollution plastique, en particulier sa fraction micro nano particulaire.
*système de référence spatial où la position des objets est définie indépendamment de la position de l’observateur.
**elles détectent et intègrent le champ magnétique terrestre et ses variations spatiales grâce à une symbiose avec des bactéries magnétotactiques.
Les MNPs sont capables de traverser la barrière hémato-encéphalique et de perturber directement le fonctionnement des neurones. Ils peuvent également provoquer des lésions sur les cellules, générer une neuroinflammation chronique et perturber l’influx et la conduction nerveuse.
Outre cette neurotoxicité directe qui menace l’intégration sensorielle des informations de géonavigation des tortues marines, les MNPs déclinent un autre effet neurotoxique. Les effets dysbiogènes des MNPs sont en effet de plus en plus décrits dans la littérature scientifique. C’est-à-dire leur capacité à interférer et modifier la composition du microbiote intestinal. Cette dysbiose perturbe la communication du système nerveux central, qui module nos perceptions, nos humeurs et nos comportements.
Toute modification du microbiote intestinal au-delà des variations physiologiques est susceptible d’impacter la cognition des tortues marines, mais aussi leur capacité d’orientation. Car leur symbiose avec les bactéries magnétotactiques peut en être affectée.
Le projet de recherche TORPP vise à étudier l’impact de la contamination MNPs des tortues marines sur leurs migrations.
L’enjeu est majeur car la moindre perturbation sur leur navigation peut indexer des pertes énergétiques graves, avec un impact direct sur leur fréquence de reproduction et/ou leur survie. La précision des trajectoires migratoires de femelles pondeuses sera analysée au regard de leurs niveaux de contamination en MNPs.
Déployé sur 80 tortues marines femelles en Nouvelle-Calédonie, TORPP s’appuiera également sur des collaborations avec d’autres programmes de suivi satellitaire ARGOS internationaux.
Cette étude s’inscrit comme une preuve de concept innovante sur le risque de perturbation cognitive per-migration des tortues marines par les micro et nano plastiques.
La neurotoxicité des micro et nano plastiques décrite sur de multiples modèles animaux constitue un risque majeur pour les tortues en migration.
Toute interférence sur leur orientation et leur navigation est susceptible d’impacter la précision de leur trajectoire migratoire. Par extension, leurs réserves corporelles, leurs rythmes reproductifs et leur survie peuvent aussi être affectés.
La recherche TORPP vise donc à analyser la précision des trajectoires migratoires des tortues marines au regard de leurs niveaux de contamination en MNPs, preuve d’un concept absolument originale.